21 Septembre 2018,

SETE

« La beuh elle est à moi, mais pas le reste !! »

Teint terne, traits fatigués, l’air tendu, Sofiane, 24 ans est encadré par deux policiers.  La présidente du tribunal l’interroge. Sa version ne semble pas aller de soi. Les questions l’embarrassent.

Sofiane est présenté en comparution immédiate au Tribunal de Grande Instance (TGI) de Montpellier pour détention et trafic de stupéfiants ainsi que pour port d’une arme blanche.

Tout a commencé, banalement, trois jours plus tôt, dans une rue de Sète. Trois individus discutent. L’un d’eux fume. Sa cigarette est conique. « C’est un joint » précise la présidente. Une patrouille passe. L’étrange mégot tombe à terre. Interpellation puis fouille. Un sac à dos contient 550 euros en espèces et de nombreux pochons de résine de cannabis. C’est celui de Sofiane.

– « Et vous ne vendez pas ? » insiste la présidente.

– « C’est pour ma consommation personnelle »,  répond Sofiane.

Il déclare fumer 3 à 4 joints par jour. La quantité de sachets et l’argent liquide justifient une perquisition à son domicile. La police trouve  :

– 80 euros en liquide,

– plusieurs sachets d’herbes cachés dans un canapé,

– de la cocaïne dans une hotte aspirante,

– 300 grammes d’héroïne, dans le frigo, cachés sous des pots.

« C’est vous que les policiers ont vu fumer ?

–  Non

– C’est étonnant parce que le papier à cigarette du joint est le même que celui trouvé dans votre sac ».

La présidente cherche à savoir si Sofiane est un dealer. Lui, déclare ne pas en être un.

« On a du mal à vous croire. La résine de cannabis est emballée dans des petits pochons.  Ce n’est pas du vrac, c’est prêt à être vendu » poursuit la présidente.

Le questionnement concerne maintenant la présence de la cocaïne dans son appartement. Comme pour déplorer le sort qui s’acharne injustement sur lui, Sofiane se tape l’avant-bras plusieurs fois avec l’autre main. Il cherche ses mots puis bredouille :

« Euuuuh, la beuh elle est à moi, mais pas le reste !! ».

La cocaïne ? Il ne sait pas qu’il y en a planquée dans la hotte aspirante de sa cuisine. Selon lui, c’est surement un oubli. Elle est probablement à un invité  d’une fête récente, écourtée à la demande des voisins à cause du bruit. Il ne voit pas d’autres explications.

« C’est un peu rocambolesque votre histoire, Monsieur »

s’exclame la présidente. En ce qui concerne l’héroïne, il déclare l’avoir trouvé, une nuit, dans un véhicule 106 Peugeot, garé dans un parking. Après avoir visionné les vidéos de surveillance, à cet endroit, à la date indiquée par Sofiane, la police ne constate aucune présence du dit véhicule.

Les questions s’enchaînent, de plus en plus précises, de plus en plus rapidement.
S’il ne revend pas, alors il est possible qu’il garde la drogue pour quelqu’un d’autres, en échange d’argent liquide. C’est ce qu’on appelle être une nourrice.

« Vous savez qu’être nourrice est répréhensible »

lui dit la présidente, qui regarde rapidement par-dessus ses lunettes. Sofiane ne bronche pas.

Court silence, puis la présidente enchaîne. Elle lui demande combien il dépense par mois pour sa consommation personnelle. .

« 150 € par mois, dit-il après avoir hésité longtemps,

– Ce n’est pas possible, Monsieur, c’est beaucoup plus. Le tribunal ne va pas vous croire.

– Je m’arrange 

– Dans ce milieu, Monsieur, s’arranger : c’est un deal ! »,

s’exclame la présidente qui poursuit,

« on s’arrange, ça veut dire, je te fournis et tu vends pour moi. Et la cocaïne, que comptiez-vous  en faire ?

– La garder

– La garder ?

Reprends la présidente très étonnée.

« Vous savez combien ça coûte, 300 g de cocaïne ?»,

toise l’assesseur.

« Je parle sous le contrôle du parquet, c’est environ 15.000 euros. Personne ne va vous réclamer la marchandise ? Il y a bien quelqu’un qui a perdu de l’argent, là, non ? ».

Silence appuyé.

« Vous avez dit ne pas vouloir laisser d’argent chez vous, puisque le propriétaire a les clés »,

interroge une voie à la droite de la présidente. C’est le procureur qui prend la parole. Sofiane acquiesce de la tête.

« Laisser la drogue dans le frigo, ça ne vous fait pas peur ? C’est curieux ? Non ? »

Sofiane ne répond pas. La présidente reprend la parole. Elle s’intéresse au niveau de vie de Sofiane. Elle s’étonne qu’il puisse à la fois faire les dépenses indiquées sur son relevé bancaire et avoir sur lui, en liquide, 550 euros et pour quelle en raison ?

«-  C’est pour acheter la voiture,

la voiture ? Quelle voiture ?

– la 106 »,

explique-t-il.

« Quand on ne sait pas mentir, il vaut mieux éviter de le faire »

tacle le procureur. Il reproche à Sofiane d’essayer de faire croire au tribunal que l’argent, trouvé en sa possession, ne provient pas de la vente. Alors qu’il est en stage, il le suspecte de mener un train de vie nécessitant des moyens supérieurs à sa rémunération.Il reprend en s’adressant à la présidente,

« Effectivement, pour de l’héroïne de faible qualité, on est plutôt à 40 euros le gramme, mais sur Sète, c’est plutôt 50 euros ».

Il réclame 36 mois d’emprisonnement, dont 12 mois fermes et 24 mois de mise à l’épreuve.

« Il est détenteur, mais pas vendeur »

Long silence. L’avocate de Sofiane, se gratte la tête et relit ses notes. Une petite moue légère apparaît sur ses lèvres. Elle s’en rend compte, esquisse un sourire puis pose son stylo et relève la tête. Elle balaye du regard, de gauche à droite, du procureur à la présidente, puis elle se lève énergiquement. Elle n’est pas très grande. Elle marque un temps, prend sa respiration, puis s’exprime. Elle est lancée. Sa voix est forte, assurée, dynamique. L’assemblée l’écoute avec attention.

« L’infraction de détention de stupéfiant est caractérisée. Il n’y a aucun doute sur ce point »,

dit-elle en regardant la présidente qui acquiesce.

« La cession et le trafic ne sont pas du tout établis. Il est détenteur, mais pas vendeur »,

poursuit-elle avec assurance. Elle est affirmative et démontre qu’il n’y aucune  anormalité à ce que Sofiane soit en possession d’argent liquide.

« Il a retiré sur son compte 1.080 euros. Ce n’est pas étonnant qu’on trouve 550 euros sur lui ».

Viennent ensuite les arguments sur le sérieux de Sofiane. Il achève une formation. Il a eu son CAP de soudeur. Il cherche un emploi. Il n’a jamais fait de détention.

« Je le rappelle, dans son téléphone, chez lui, il n’y a aucune trace de trafic. Il n’y a, ni balance de précision, ni texto, ni liste de noms, ni étiquettes d’emballages. Rien ne permet de l’accuser de trafic. »

Jugé coupable, Sofiane écope d’une amende de 1 500 €, de 30 mois de prison, dont 12 mois avec un sursis assortis d’une mise à l’épreuve de 24 mois avec obligations de soins et de travail et dont 18 mois sont fermes.

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