A deux pas de MONTPELLIER

La deuxième vie de Jérôme

A 35 ans, Jérôme a tout plaqué.

Mystère, chimie de la vie, arythmie des mathématiques, qu’est-il arrivé à ce brillant chimiste pour qu’il passe de la paillasse à l’atelier d’art et de la Start’up à l’auto-entreprise ?

1999, Jérôme achève son stage de fin d’études. Il a 20 ans. On lui propose un contrat de rêve : « sortir des molécules ». Il est chimiste fraîchement diplômé.

« On ne peut pas te payer » lui dit-on, « mais on te donne des actions. C’est un pari que tu fais avec nous. »

C’est l’époque des épopées Google et autres compagnies « high Tech ».

 « Quand tu as 20 ans, tu y crois ! » explique Jérôme de sa voix calme et assurée. « Tu entends dire que le balayeur de chez Google est millionnaire. La société s’est montée comme ça. Je touchais moins de 1.000 euros nets par mois. On m’avait prédit une sacrée plus-value, » poursuit-il. « Sauf qu’il s’agit de trouver des molécules et qu’en pharma, c’est long, très, très long. Pour un médicament il faut au minimum 10 ans. C’est quand même une très belle histoire. »

L’entreprise produit en effet, de nombreuses molécules. Il y en a une dont il est particulièrement fier : celle contre l’hépatite B « Made in Montpellier ».

La société en pleine croissance recrute 20 personnes nouvelles, chaque année. Elle est implantée en France, en Italie et aux USA.

« Pendant cette période de ma vie, j’ai baigné à n’entendre que des gros chiffres».

2013, Jérôme a le sentiment d’avoir bouclé la boucle.

« Je suis de la génération qui sait qu’on a plusieurs vies amoureuses et plusieurs vies professionnelles. En tant que scientifique passionné, je suis allé jusqu’au bout du cycle, du Graal en quelque sorte. La mise sur le marché d’un médicament est un aboutissement. »

Une possibilité de sortie de l’entreprise se présente. S’il n’a pas profité de la précédente, deux ans auparavant, c’est parce que à l’époque, il n’est pas prêt. Cette fois-ci, il sent que le moment est venu pour lui de saisir cette nouvelle chance.

Après 14 ans d’une activité professionnelle intense, Jérôme, a besoin de souffler.  

« Je sais, à ce moment-là ce que je ne veux plus faire, » exprime clairement Jérôme, « je suis à la recherche d’un bonheur simple ! »

Il veut continuer à s’appuyer au quotidien sur une démarche créative. C’est son moteur.

« On ne le sait pas, mais la chimie, c’est très créatif. C’est un travail toujours très structuré, un processus long qui exige de la rigueur, de la méthode, de la recherche et des expériences. Quand j’étais gamin, j’ai toujours été fasciné par le fait qu’avec deux produits, on puisse en fabriquer un troisième qui n’a rien à voir avec les deux premiers.  J’aurais pu faire exploser ma maison plusieurs fois.  Je fabriquais des feux d’artifice, des chewing-gums, des bonbons, etc. En 14 ans, j’ai fait 3.000 molécules inédites avec des brevets derrière. C’est du design moléculaire. Travailler au micron près, c’est un travail de précision, qu’on retrouve dans toute ma production. »

Pour autant, il n’a pas d’idées précises. Bien qu’il ait pourtant toujours mené de front deux activités : la chimie et la musique, il n’a pas encore totalement donné droit de cité à l’artiste qui est en lui. Son groupe de rock, qui fut une très belle histoire avec beaucoup de concerts, de belles premières parties, la sortie d’un album et de nombreux passage en radio, prend fin avec les orientations qu’imposent, petit à petit, l’âge adulte à chaque musicien. C’est un mariage pour les uns, un déménagement pour les autres. Le groupe musical se disperse, puis il s’arrête de lui- même.

2014, il est alors au chômage et en profite pour entreprendre un bilan de compétences. En parallèle, il continue à bricoler, comme il l’a toujours fait.

« J’avais transformé un vieux radiateur électrique de ma grand-mère en une lampe. Je l’avais mise chez moi.

Quand des amis venaient chez moi et qu’ils voyaient ce radiateur, ils me demandaient si je pouvais leur en faire. D’abord 1, puis 2, puis 3, puis 4.

En même temps, j’avais fait quelques calligraphies contemporaines que j’avais aussi affichées aux murs.

Les gens venaient et disaient que cela leur plaisait.

Je ne disais pas que c’était moi qui en étais l’auteur. Je répondais que c’était un ami. Je voulais connaitre leur jugement sans le fausser.

J’avais une autre piste professionnelle dans la chimie, mais elle tardait à se concrétiser.

Alors, j’ai décidé de me lancer ».

2015, Jérôme rentre avec son projet dans une couveuse spécialisée qui accompagne les initiatives de l’économie créative : Context’Art à Montpellier. Il y reste deux ans.

2017, c’est le grand saut. Il se lance en auto-entrepreneur. Il s’investit dans le réseau montpelliérain, (artistes, galeries, journalistes, salons) et sur la toile internet.

Jérôme est visiblement satisfait de son choix. Il est calme, posé, il a désormais appris à être son propre patron, à compter sur lui-même, à s’organiser et à se réguler.

Au départ, c’est très stressant.

J’ai mis du temps à appréhender que « tu ne vends pas : tu ne gagnes pas ! » Il m’a fallu apprendre à faire un travail de séduction pour vendre. Mais les gens, mêmes ceux qui n’achètent pas, sont toujours positifs, avec un bon accueil. C’est un bon côté du métier. »

« Tous ceux que je connais qui ont changé de vie, comme moi, ils sont moins riches, mais ils sont beaucoup plus heureux. C’est une grande satisfaction. Il y a plus de liberté. On se rend compte qu’en restant enfermé dans son métier, sans cesse aux mêmes endroits, aux mêmes fonctions et aux mêmes horaires, on ne perçoit plus le monde de la même façon. Finalement, on passe à côté de toute une vie !

Progressivement, Jérôme se fait connaître pour son travail sur les radiateurs électriques. Sa production de qualité est reconnue. Il a aussi de nouveaux projets.

« Les lampes ou mes tableaux sont des objets uniques. J’aimerais bien faire aussi des petites séries.   L’idée serait d’arriver à créer ma propre ligne de lampes ».

Sur sa palette d’activités, Jérôme a aussi une autre couleur. Elle est moins connue. Il mène en effet, un important travail autour de la calligraphie contemporaine.

« Écrire, c’est donner de soi ».

Le geste est précis. La main est assurée. Le discours est ordonné. Jérôme en parle avec passion. A l’écouter, même s’il cela n’apparaît pas immédiatement, on peut rapidement soupçonner  une démarche artistique teintée d’une approche scientifique. Progressivement, cela en devient une  évidence.

 « C’est tout un travail de codage qui permet d’être compris et de transmettre aussi. C’est ancestral. »

Il a suivi des formations sur plusieurs types de calligraphies : japonaise, persane et hébraïque.

« Tout est calligraphie et cela dure depuis longtemps. Avant même que les gens sachent lire. Avant même la typographie. Il y a en a partout. Ça peut être universel. »

Sa démarche part d’une impulsion, d’une idée, d’un ressenti pour arriver à une oeuvre finale.Il laisse pourtant échapper une pointe d’inquiétude.

« Dans 10 ans, saurons-nous encore écrire de façon manuscrite ? ».

Dans ses créations, il y a une forme de lutte pour la sauvegarde de l’écrit manuel. C’est un art, un art manuel. C’est une expression de la main qui traduit une pensée, une idée.

C’est aussi tout un ensemble d’éléments qui permettent de faire la différence d’une œuvre à une autre, tels que papiers, formats, outils, encres, styles.

« La calligraphie, c’est comme la chimie », explique Jérôme.

Il y a différentes variables à ajuster entre elles. Il y a différents réglages à faire et différents dosages à opérer. Il faut trouver le bon mélange pour aboutir au résultat qui soit à la hauteur des espérances. Il avoue en avoir usé des rames de papiers, des litres de différentes encres, de différentes couleurs. Quant aux outils, il en a des trousses pleines.

Jérôme, est un passionné des casse-têtes. Il vient d’en acquérir un petit, tout en bois, encore emballé et posé sur la table de la salle à manger. Comme il n’a pas encore eu le temps de l‘ouvrir, il lui jette de temps en temps un œil de délectation. Ce bref regard ressemble étrangement à celui d’un gamin dans une boulangerie, qui lorgne avec envie sur quelques sucreries enfermées dans une vitrine pleine de confiseries.

Le jeune homme est amoureux de la difficulté. Par exemple, lorsqu’il compose en se servant du nombre d’or,  il met un point d’honneur à ce qu’il soit strictement respecté. Il aime à concevoir, imaginer, réfléchir pour se libérer des contraintes qu’il s’est lui-même fixé. C’est un trait de sa personnalité, c’est une sorte de discipline qu’il s’impose dans la pratique de son art.

Un travail élaboré, minutieux, planifié. Un résultat qui ne laisse rien au hasard et qui doit être conforme au millimètre près, avec le projet qu’il a conçu, pour Jérôme, ce n’est pas suffisant. Il ne s’arrête pas là.

« Chaque personne peut avoir deux approches de mon travail. Une esthétique bien sûr, mais il y a aussi une vision scientifique ».

En effet, Jérôme glisse dans son œuvre calligraphique des signes, des codes, des messages qui conduisent à regarder ses toiles d’un œil différent.

À découvrir et admirer son travail, plus longuement, avec attention, il s’opère progressivement une alchimie.Une toile qui paraissait banale au premier coup d’œil, un objet étrange qui aiguise la curiosité.

On reconnaît la double personnalité de l’auteur : le scientifique rigoureux qui se mélange avec l’artiste passionné et passionnant. Le résultat en est une chimie réussie.

Pour aller plus loin : visitez le site de Jérôme  ART JL

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