LE CAP D’AGDE

Didier, la soixantaine bien tassée, vient de quitter la capitale pour travailler à Montpellier. Il a saisi une opportunité dans sa boite pour émigrer du nord au sud. Heureux possesseur d’un voilier amarré au cap d’Agde, il a trouvé tout naturel d’aller y résider. Après 72 de jours d’expérience en solitaire et sans navigation, il fait le point sur ce qui pourrait être une fausse « bonne idée ».

Amarré le long d’un ponton flottant, le bateau de Didier est un modèle « Mélody » de chez  Jeanneau. Il mesure 10,35 m de longueur sur 3,38 de large. Photo © JJF 2018

« Un bateau,c’est quand même fait pour vivre dehors »

En ce début de juin, ca fait 72 jours que Didier vit sur son bateau. « Un bateau quand même, surtout quand il est petit, c’est fait pour vivre dehors.» dit-il. Son voilier est amarré le long d’un ponton flottant. C’est un modèle « Mélody » du constructeur Jeanneau. Il mesure 10,35 m de longueur, 3,38 de large. C’est un navire robuste et reconnu par les marins chevronnés pour ses qualités en mer. Il a été fabriqué entre 1976 et 1982 en un peu plus de 600 exemplaires. Didier et sa femme l’ont choisi, il y a deux ans, pour naviguer lors des vacances.  Son épouse a une très longue et solide expérience de la mer et des courses au large. Elle aurait pu être skippeuse professionnelle. L’architecture a eu sa préférence. Elle le rejoint au milieu de l’été.

Pour l’instant, Didier est seul maître à bord. Debout sur le pont, dos au contre-jour, il se tient d’une main à l’un des haubans. Ce sont les nombreux câbles tendus qui tiennent le mât. Le soleil découpe sa stature d’1,86 m, toute en hauteur et charpentée. Comme arrimé et solidaire du bateau, il est indifférent aux vaguelettes et aux quelques rafales de vent qui traversent le port.

Parce qu’il fait beau et que le temps s’y prête, c’est le jour idéal pour débarrasser la cabine et mettre à poste (en place) la voilure. Elle est stockée l’hiver à l’intérieur. Depuis son arrivée, la pluie incessante rend impossible l’opération. Il est grand temps de regagner un peu d’espace de vie.

De sa voix forte, de ses mots précis et nombreux, Didier fait le constat que vivre sur un bateau, alors que l’on travaille par ailleurs, c’est la même chose que vivre en appartement. « Précaire certes, mais c’est un appartement. Avec les contraintes d’un appartement » dit-il. Il se rend compte rapidement qu’être à bord en vacances est totalement différent d’y être à l’année. « En vacances, tu es en maillot de bain. Tu n’as pas de micro-onde parce que tu n’en n’as rien à faire. Quand tu résides sur ton bateau et que tu rentres du boulot à 8 heures du soir, d’un seul coup, malgré tout, il te faut un minimum de confort de vie. Ça veut dire que tu te dis mince, pour me faire à manger, c’est quand même bien plus pratique d’avoir un micro-onde à bord ».

Les voiles sont entreposées l’hiver à l’intérieure de la cabine. Aux beaux jours, il faut les remettre en place. Photo © JJF 2018

Le voilier au port amarré au ponton flottant.Photo © JJF 2018

Mais voilà, un voilier est un espace réduit. C’est exigu dans tous les sens, en longueur, en largeur et en hauteur. Sa forme prévue pour filer sur l’eau s’achève en une pointe à l’avant, nommée la proue. A l’opposé, à l’arrière, se trouve la poupe qui achève la forme du bateau en se réduisant.

A l’intérieur, le voilier de Didier dispose de deux cabines. Une grande à la pointe avant, une autre, tout à l’arrière. Entre les deux, se trouvent, une salle d’eau, une cuisine. En face de la cuisine, un endroit est réservé à la navigation et aux instruments de bord. Équipé d’une grande table justement bien nommée, la table à carte qui permet au navigateur de déplier les cartes marines fort encombrantes, c’est un lieu abrité. Ici se trouvent le GPS pour suivre la route, la radio VHF pour communiquer avec l’extérieur ainsi qu’un certain nombre d’outils pour suivre la vitesse, la profondeur, le sens et la force du vent, les prévisions météo.

Au milieu, au plus large, se situe le carré. C’est le lieu de vie. C’est la pièce centrale du navire. Au  centre est disposé une table pour les repas. Elle est rétractable pour permettre le passage. Le carré peut aussi se transformer en deux couchettes supplémentaires pour deux à quatre personnes. Le voilier a la capacité d’héberger huit personnes.

Depuis le carré, entre la cuisine et la table à cartes, une échelle escamotable, dite de « descente », permet d’accéder à l’extérieur, au cockpit, et aussi, par en dessous, au moteur. Il est obligatoire pour entrer et de sortir du port. C’est en effet interdit de faire les manœuvres à la voile. Il est utile aussi, pour naviguer en l’absence de vent ou pire en cas d‘avaries, mât cassé, gréement endommagé (dispositif de liaison du mât au bateau) ou encore voilure déchirée ou perdue.

A l’extérieur, à la poupe,  sont installées dans le sens de la longueur, des banquettes ainsi que des rappels des instruments de navigation. C’est le cockpit. Tout au bout, plongeant dans l’eau, se trouve le gouvernail aussi appelé safran. II permet de diriger le bateau à l’aide d’une grande et lourde barre en bois appelée la barre franche.

De nombreux réservoirs d’eaux potables, d’eaux usées, de carburant, des éléments de sécurité indispensables et obligatoires souvent encombrants, occupent aussi leurs places.

Les contraintes de rangements sont fortes. Les astuces et les capacités d’optimisation sont stratégiques. Tout en ayant suffisamment de victuailles et le minimum nécessaire pour se faire la cuisine, l’art du marin est de ne pas encombrer le bateau. Sinon les déplacements, qui se font de l’arrière vers l’avant et vice versa, sont très compliqués donc pénibles ou pire impossibles.

 La  GV (grand voile) est hissée au mât (mise en place). On dit qu’elle est à poste. Photo © JJF 2018

Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place.

« Ta voiture devient l’annexe de ton bateau, parce que c’est là-dedans, que tu mets les chaussures, les machins. Tout ce qui t’encombre sur le bateau, tu le mets dans le coffre de ta bagnole », déclare Didier.

Avec fatalisme et une pointe de regrets, Didier confirme : « tu te dis que pour lire, tu ne peux pas amener tes bouquins. Du coup, tu achètes une liseuse. Puis ensuite, tu te dis que pour écouter de la musique, tu ne peux pas amener ta chaine hifi, tu mets tout sur un ordinateur portable pas trop grand. Evidemment tu n’as pas d’internet. Le bateau n’a pas d’antenne de télé. La radio ne passe parce qu’il y a une forêt de mâts tout autour de toi. Tu finis par regarder des DVD sur ton pc pour t’occuper ou à jouer à des jeux à la con que tu as téléchargés sur ta machine. Ça c’est la vie au quotidien quand tu ne bosses pas ».

Sur la carte ci-dessous, imaginez votre voilier à un endroit et mesurez le temps qu’il vous faut pour aller au parking et aux sanitaires les plus proches. Important : n’oubliez pas le badge d’accès !

Pour Didier, le plus compliqué est le matin. « Moi je travaille loin. J’ai une heure de route. Le matin, il faut aller faire sa toilette », explique-t-il. Or, faire sa toilette, sur un bateau qui fait 10 mètres, dans la salle de bain qui fait à peu près 0,75m², où pour franchir la porte, il est obligé de passer de biais, parce qu’évidemment, il n’y a pas la largeur pour ses épaules, c’est impensable. « Tu décides donc que c’est bien plus commode d’aller aux sanitaires du port » poursuit-il.  L’abonnement au port comprend l’amarrage du bateau ainsi que l’accès aux sanitaires, wc, douches, lavomatic, et une place de parking pour la voiture. Le port du Cap d’Agde est un très grand port de plaisance. Il occupe une surface de 35 hectares. Il compte 10 bassins, 3.100 anneaux (places de bateaux), 6 blocs sanitaires et de nombreux parkings. Le tout est répartis autour de la pièce d’eau. Sauf coup de chance, le bateau ne se trouve jamais à deux pas des sanitaires ou du parking. Ce qui est une balade pour le vacancier devient vite une nouvelle contrainte dans la vie de Didier.

« Sauf que les sanitaires du port », reprend Didier, « ils sont à 4 à 500 mètres du bateau. Donc tu te dis que tu vas essayer de faire tes 500 m avant de faire dans ton pantalon… Ça c’est aussi une réalité. » dit-il sans plaisanter. Par chance, les sanitaires du port qu’il utilise, donnent directement sur le parking à ciel ouvert où Didier gare son véhicule. Sa trousse de toilette est dans sa voiture. « Donc tu te lèves, tu prends ton change sous le bras, parce que sinon les 5 minutes pour aller aux sanitaires, les 5 minutes pour revenir sur tes pas et te changer plus les 5 minutes pour revenir à ta bagnole, tu as perdu un quart d’heure. Donc ça demande une organisation particulière. Ce sont les aléas. »

Le port du Cap d’Agde peut accueillir 3.100 bateaux. Photo © JJF 2018

Et la navigation dans tout ça qu’en est-il ? « Quand tu vis sur ton bateau, tu ne navigues pas avec », déplore Didier. Puis il reprend, « parce que pour naviguer, il faut que tu amarres le micro-onde. Il faut que tu range tes fringues. Parce que ce n’est pas pareil d’avoir trois Tshirts et un maillot de bain et de te retrouver avec des vêtements pour travailler professionnellement. »

Vivre sur un bateau toute l’année est-ce vraiment possible ? Didier a son avis : « c’est vivable. Après tout c’est un mode de vie qui, une fois organisé, se vit assez correctement, assez bien. C’est juste une question d’organisation. Mais… ». Selon lui, il y a, dans son cas, trois conditions. La première concerne la taille du bateau, « surtout quand tu fais 1,86m, il faut avoir un bateau qui fait au moins 11 ou 12 mètres ». Dans la cabine, au plus haut, la hauteur est de 1,80m. C’est ce qu’on appelle la hauteur sous barrot. La deuxième est si possible d’avoir une place pas trop loin des sanitaires, « parce que ça t’arrange la vie. Et ça tu ne la choisis pas ! », s’exclame-t-il. Enfin, le dernier point est financier. « Parce que plus ton bateau est grand, plus il coûte cher à entretenir. Ce n’est pas proportionnel. C’est exponentiel ! Un bateau de 10 mètres ça te coûte 1. Un bateau de 12 mètres ça te coûte 3. Parce que tout est dimensionné. Je ne parle pas de la place au port qui reste encore une complication supplémentaire ». Cela aurait pu être sa conclusion.

Coucher du soleil vu depuis le bateau de Didier. Photo © JJF 2018

Il achève 70 jours en solitaire dans son bateau. Au-delà de l’argent, Il se rend compte que l’essentiel des contraintes proviennent des conditions de vie dans un si petit espace. « Mais, mais, mais un bateau, c’est quand même, surtout quand il est petit, j’y reviens, c’est fait pour vivre dehors. Donc, il faut que la météo soit avec toi. Alors, si comme en ce moment, sur 70 jours d’expérience, tu te prends globalement 25 jours de pluie, ça veut dire que tu vis enfermé dans ta cabine. Et là, tu as quand même l’impression que tu vis un peu comme un rat en fond de cale. Ce n’est pas passionnant. Et encore il ne fait pas froid.

Alors envisager de vivre sur un bateau de plaisance de 10,50 mètres, ne me parait pas réaliste à l’année. Ça laisse supposer de trouver un hébergement l’hiver », conclu-t-il.

Texte, prise de vues, montage, traitement © JJF - 2020
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