SUD-HERAULT
C’est un lieu improbable. Situé à deux pas de l’ex capitale régionale, sur la route de la mer, Il est à 5 km seulement de l’autoroute. Situé, en bord d’eaux, ce qui le rend inondable, ce petit coin bucolique n’est pas tout jeune. Il est né il y à presqu’un siècle.
Même en regardant sur une carte satellite, il est difficile à trouver. Sur internet on ne voit qu’une grande départementale qui passe entre deux étangs. En réalité, elle longe sans jamais le dire, ce territoire connu seulement de quelques initiés parce qu’ils y habitent.
La route est le seul lien possible entre la capitale du département et la station balnéaire. De jour comme de nuit, toute l’année, elle permet aux travailleurs, aux camions de marchandises, aux estivants et aux fêtards nocturnes d’aller de la cité à la mer et vice et versa.
Quand on sait où se trouve ce petit bout de terre, il est difficile d’imaginer qu’il puisse être paisible, calme, serein et dignement porter cette appellation de « paradis »
Ce lopin de terre, à proximité de la côte Méditerranéenne, mesure à peine deux kilomètres de long sur 150 mètres de large. Ancien marais, entre terre et la mer, il est prisonnier à l’est comme à l’ouest de l’eau qui a envahie la lagune. Traversé de part en part, du nord au sud, par la rivière, large d’à peine 20m en saison sèche, chaqune de ses rives est habitée.
Amont ou aval, droite ou gauche, chaque rive est un quartier différent. A chacune son caractère et son histoire. Les constructions du quartier Sud sont sur la rive gauche. Elles démarrent à la hauteur précise où s’arrêtent celles du nord, qui sont sur la rive droite. Les habitations sont donc en décalées.
Chaque maison est construite en bord de la rivière. Seuls les habitants ont vue sur elle. Il est impossible au visiteur de la voir couler sans entrer dans une propriété. Ici commence le quartier dites des « cabanes ».
Louis, 85 ans, habite plus loin, en amont, sur la rive droite.
Je suis le premier habitant de ce quartier. J’ai fait faire le gros œuvre, il y a 45 ans et j’ai fait le reste. Ça coûte moins cher. Je suis carreleur de métier ». Il marche lentement, Louis. Sa canne lui est d’un grand secours. Sa femme est handicapée. Il se félicite vraiment de son choix d’habiter ici. « Si je n’avais pas fait ma maison ici, de plain-pied, on pourrait pas rester et on serait dans une triste maison de retraite ». Il ne prend plus sa voiture, « sa roule trop vite » et depuis qu’il s’est mis dans le fossé, sa fille, ne veut plus qu’il conduise. Elle habite la ville voisine. Il n’a pas de soucis d’approvisionnement. Tant qu’il pourra, le couple restera installé ici.
Sur le total des 27 villas, Il n’y en a que 3 qui se sont vendues. Avec sa canne, il point une petite bâtisse en rez-de-chaussée dont le crépi vient visiblement d’être refait. Il est rouge vermillon très écarlate. « La pauvre, elle ne la reconnaîtrait pas » dit-il en parlant de sa femme qui ne sort plus depuis longtemps.
Face aux épaves échouées le long de la berge, Louis, a son avis. « Ce sont les bateaux qui passent trop vite qui entrainent au fond les navires les plus fragiles.
Une barrière en bois, ouverte, marque la limite de la circulation. A partir de ce point, elle est réservée aux riverains. Le voie privée est en terre battue. Elle fait 500 m de long.
A gauche, un vaste terrain de 100 M de large est fermé par ce qui pourrait être une digue. Elle est un peu surélevée. C’est un remblais construit en terre. Sur les côtés, il est recouvert de végétaux bien fournis : arbustes, joncs, herbes folles. Elle a double fonction. Elle a été transformée en piste cyclable et sert de digue pour éviter que l’étang qu’elle longe ne se déverse trop souvent les jours de gros orages.
A droite, la voie est bordée par les clôtures et les portails d’entrée de chaque propriété. Sans carte, il est impossible de deviner que derrière ces bâtisses, cachées dans une végétation dense, sombre et haute, coule paisiblement un cours d’eau. Chaque maison est construite sur une parcelle ouverte sur la rive. A l’origine c’était des baraques de pêcheurs.
En ce jour de mai, au soleil est généreux, il n’y a pas d’ombre devant les maisons de la rive gauche. Il est midi. Milieu de semaine, tout est calme. Seuls quelques canards invisibles cancanent. Il sont surement au bord de l’eau. Plus étonnant, un léger caquètement laisse à deviner la présence de poules à proximité.
« Ici c’est à nous » dit fermement Yoan qui a visiblement très envie de faire visiter son territoire. Il en a les yeux qui brillent. Né ici, toute son enfance a été bercée par cette liberté de gambader dans les marais, de naviguer sur le fleuve. Toutes portes ouvertes, il est installé à l’avant de sa Renault Clio avec son ami Thomas. Le véhicule n’est pas tout jeune, mais il leurs permet d’être assis confortablement à l’ombre.
Le soleil commence sérieusement à chauffer.
Voisins, du même âge, 20 ans, ils sont amis depuis l’enfance. « Enfin, c’est comme si c’était à nous » reprend Yoan. « Toute notre vie est ici, on va à la pêche, à la chasse, on vit dans la nature et on est proche de [Nom supprimé] qui est pour nous comme un village. On connait tout le monde et personne ne vient nous embêter ».
D’ici par voie fluviale, en suivant la rivière jusqu’à son embouchure, ils ont accès directement à la mer. Dès que la révision technique du bateau de Thomas, qui est au chantier un peu plus bas, sera terminée ils retourneront pêcher en mer.
Bien qu’ils laissent tourner le moteur de la Clio, ils se disent volontiers « écolos ». Est-ce parce qu’ils sont tous deux pécheurs et chasseurs qu’ils aiment tant observer les flamants roses, les cigognes, différents poissons des étangs ou de la rivière ? Est-ce simplement dans leurs « natures » ?
C’est certain, ils en connaissent un rayon sur la faune et la flore. Ils apprécient cette proximité avec la nature. « On voit même des renards qui s’approchent la nuit ». Spontanément ils citent le fait qu’ils soient en zone « Natura2000 » et qu’existe sur la commune voisine, une « formidable » Maison de la nature.
Dans ce petit coin de paradis, il y a aussi quelques anecdotes qui font sourire. Yoan se régale de raconter l’histoire de ceux qui voulaient voler les moteurs des bateaux.
Une nuit, empruntant une barque sur l’autre rive, celle de la piste cyclable, des voleurs ont voulu décrocher des hors-bords fixés sur les bateaux d’en face.
Au petit matin, à peine les volets ouverts, l’absence fut aussitôt remarquée. Le larcin était à priori réussi. Le ponton d’en face était quand même curieusement affaissé.
Le beau-père de Yoan estima qu’il y avait peut-être là quelques indices permettant de trouver les coupables.
Pompier et plongeur professionnel, il récupéra au fond de la rivière, son moteur, mais aussi d’autres plus ou moins anciens.
Plus lourds, sûrement qu’ils ne l’avaient estimé, les apprentis « monte en l’air » avaient dû voir s’enfoncer sur leur pied le ponton fragile, sentir l’eau monter par les jambes des pantalons et s’échapper de leurs bras tétanisés par les efforts fournis à l’aller du trajet les moteurs happés par le fond en quelques secondes. L’histoire ne dit pas, si les voleurs en herbe furent totalement trempés, ni de combien ils se sont enfoncés dans l’eau froide et boueuse de la rivière. « Depuis, on a quand même mis des caméras » conclu Yoan.
Il est 13h30, à la rumeur sonore qui monte, le trafic s’intensifie sur la départementale. Les deux jeunes ont tout de même deux reproches à faire à leur territoire.
Contrairement à ce qu’on pourrait attendre à cause du bruit environnant, ce n’est nullement la nuisance de la départementale, « On s’y habitue vite », c’est l’absence d’une part d’un pont qui relierait directement leur bout de terre à la ville d’à côté. Bien qu’à vol d’oiseau, ils habitent à moins de 3 kms de l’entrée du port. Pour y aller en voiture, ils sont actuellement obligés de remonter au Nord pour reprendre ensuite la départementale. C’est un détour obligatoire de 10 km. Il y a bien la piste cyclable mais en scooter ce n’est pas vraiment autorisé.
Yoan pousse le portail en fer forgé de sa maison. Dans le jardin 10 poules caquettent. Un peu plus loin dans un enclos grillagé, sur une pièce d’eau, des canards se baladent « ce sont des appelants pour la chasse » précise-t-il. Enfin un petit portillon permet d’accéder à la rive du Lez. Un peu en surplomb, elle est censée protéger la maison des crues « normales ». Deux petits pontons en bois permettent d’accéder d’un côté à une barque un peu spéciale. Assez longue, elle est couverte par un capot en bois noir. Un petit renfoncement ouvrant, telle une petite meurtrière, ne cache pas sa destination. C’est un affut flottant. L’autre passerelle est vide. Le bateau est chez le mécanicien pour l’entretien. De l’autre côté de la rive, des herbes folles cachent la piste cyclable qui longe la départementale. La circulation s’est affaiblie en ce milieu d’après-midi. On aperçoitun étang de l’Arnel duquel surgit en contre-jour au lointain mais très nettement, dans la brume de chaleur, sur son petit monticule, la cathédrale imposante de Villeneuve-lès-Maguelone.
Le second grief concerne plutôt Thomas. Sa maison est tout au sud, l’avant dernière du chemin. Elle est plus proche d’une grande enseigne de distribution, située sur l’autre rive, le long de la départemental. Il entend toutes les nuits, vers 2H du matin, les camions qui livrent le super marché. Équipés comme il se doit des dispositifs de sécurité obligatoires, chaque fois qu’ils reculent, des « bips-bips » stridents et répétitifs se font entendre dans la nuit. Cela le réveille.
Dans la famille de Yoan, c’est son arrière-grand-mère qui est venue en premier, habiter ici, avec son mari. La digue transformée en piste cyclable est en fait une ancienne voie ferrée. « Mon arrière-Grand-Père réparait la locomotive du petit train. Il en est d’ailleurs mort. Un jour sur le chantier il y a eu un accident. Il n’est jamais revenu ».
Sur 30 maisons alignées sur ce terrain, il n’y en a qu’une seule qui ne soit pas occupée à l’année. Il arrive que quelques familles s’installent mais ne restent pas plus de deux ans. « Comme la zone est inondable, dès que les premiers épisodes cévenols arrivent (fortes pluies d’automne), ils prennent peur et veulent partir. C’est arrivé deux ou trois fois dit Thomas. » Des différentes familles, vivant ici, ils étaient 10 enfants de la même génération. Aujourd’hui Ils sont les seuls à vouloir rester sur place. Très attachés à ce cadre de vie et ce style « loin des villes et des embouteillages ». Ils affirment même être prêt à changer de métier si leurs employeurs devaient les contraindre à déménager.
Afin de préserver la tranquillité de ce lieu, il a été convenu que l’endroit exact où se trouve ce petit coin de paradis ne serait pas citer .
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